15 mars 2017

Comment traduire « accountability » ?

Le terme anglais accountability représente une véritable difficulté de traduction en français. Le sens général de ce mot est le « fait de devoir rendre compte » (de ses actes, de sa gestion, etc.), l'« obligation de rendre des comptes », l'« obligation d'être comptable de ses actes ». Cette obligation s'applique au personnel politique, aux fonctionnaires, aux administrations, aux sociétés et aux entreprises.
 
Malheureusement l'équivalent français potentiel direct, « comptabilité », ne peut pas faire l'affaire, ce mot étant limité au domaine technique de la tenue de comptes. On peut « être comptable » (de ses actes), mais le fait d'être comptable ne peut pas s'appeler la « comptabilité » (de ses actes)…

Un rapide sondage dans la presse européenne francophone donne cependant quelques pistes de solution. Disons d'abord que le terme anglais est souvent employé tel quel. Cependant il existe des équivalents français. Équivalents plus ou moins satisfaisants. À côté d'« obligation de rendre compte », on relève aussi « responsabilité », « responsabilisation », « autoresponsabilité » (des entreprises), « reddition de comptes » et « redevabilité ».

« En France, nous n'avons pas une tradition d'évaluation de nos politiques publiques. […] Globalement, notre personnel politique n'a pas la culture de la reddition de comptes. » (Mediapart, 30 septembre 2016).

« Je rappelle que la "redevabilité", "accountability" en anglais, qui est le fait de rendre compte aux électeurs, a valeur constitutionnelle. L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dit bien que "la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". » (Le Courrier des maires et des élus locaux, 16 février 2016).

« Terme anglo-saxon difficile à traduire en Français, l’accountability désigne le fait de rendre des comptes, d’être comptable de son action en faveur de la protection des données personnelles à tout moment en cas de contrôle. » (data-droit.com/2018/11/21/quest-ce-que-le-principe-daccountability/). 

« Le sens premier et fondamental de la responsabilité politique consiste à contraindre les gouvernants à rendre des comptes publiquement devant la représentation nationale. » (Le Monde, 15/11/2023).

Les mots « responsable », « responsabilité » et « responsabilisation » semblent être les plus couramment employés.

Je renvoie aussi à mon billet du 9 décembre 2012 :

https://carnetdunlinguiste.blogspot.ca/search?q=imputable

Mots-clés : traduction ; accountability ; obligation de rendre compte ; reddition de comptes ; redevabilité ; responsable ; responsabilité ; responsabilisation ; autoresponsabilité.

12 mars 2017

Poivre grossièrement moulu ou texte grossièrement traduit ?


On lit sur l'étiquette d'un contenant de poivre commercialisé par Kirkland Signature la marque maison de Costco Wholesale Corporation : Coarse Ground Malabar Black Pepper / Poivre grossièrement moulu de Malabar
Texte grossièrement traduit...
 Y en a qui ont ben d'la misère avec l'ordre des mots en français ! Particulièrement l'ordre des compléments de nom. J'ai consacré tout un chapitre dans Le français québécois entre réalité et idéologie (Presses de l'Université Laval, 2017) à la piètre qualité des traductions des textes des emballages de produits de consommation courante au Québec. En voilà un nouvel exemple.
Pourquoi disjoindre « poivre » et « de Malabar », puisqu'il s'agit de l'origine géographique de ce produit ? « Poivre de Malabar » se distingue, de par son origine, de « poivre de Ceylan », de « poivre de Madagascar », de « poivre de Sarawak », etc.
Pourquoi Black dans Black Pepper a-t-il disparu, alors qu'on sait qu'il y a des poivres noirs, des poivres verts et des poivres blancs ?
En fait l'étiquette de Kirkland Signature devrait se lire de la manière suivante : Poivre noir de Malabar grossièrement moulu.
Il est étonnant qu'une entreprise aussi puissante que Costco ne soit pas capable de fournir des traductions correctes à ses clients canadiens francophones. L'entreprise va ouvrir prochainement un premier entrepôt en France. Il sera intéressant de voir là-bas quelle sera la qualité des textes des emballages de ses produits.
PS. Du poivre "grossièrement moulu", c'est du poivre "concassé"...

Mots-clés : traduction anglais-français; qualité de la traduction; Québec; France; ordre des mots; ordre des compléments de nom; Costco Wholesale Corporation; Kirkland Signature.

10 mars 2017

Doit-on dire un aréna ou une aréna ?


Dans une fiche datant de 2011, le Grand Dictionnaire terminologique affirme que le terme aréna est un nom masculin. Ce faisant, il s'appuie sur une recommandation de l'Office québécois de la langue française de 1989. Ce choix du genre masculin, qui correspond à l'usage québécois populaire, est critiquable. Dans la presse québécoise, le mot est effectivement presque toujours masculin, même si l'on trouve quelques exemples d'emplois au féminin. Il est assez étonnant qu'un organisme officiel chargé de normaliser les terminologies recommande une forme populaire...
En effet, le mot aréna vient du latin (certes par l'intermédiaire de l'anglais arena). Il a donné tout naturellement en français le mot arène, lui-même féminin. Les mots latins terminés par –a sont, sauf rares exceptions, féminins. C'est le cas d'aréna, comme c'est le cas d'aura. On n'aurait pas idée de dire un aura…
Le mot aréna est d'introduction plus récente en Europe francophone où il est toujours féminin. On ne le voit apparaître dans la presse européenne qu'à partir de l'an 2000 environ. Là-bas, il désigne généralement une arène ou enceinte sportive ou stade couvert multifonctions, où se tiennent aussi bien des spectacles que des événements sportifs. Au Québec son sens est plus étroit. Il désigne une patinoire couverte par opposition à une patinoire en plein air. Ce faisant, il fait double emploi avec le mot patinoire, qui désigne aussi bien une patinoire fermée qu'une patinoire ouverte.
Patinoire de Saint-Gervais (Alpes françaises)

En Europe, on le rencontre d'abord et surtout dans des noms propres, souvent précédés du nom du principal partenaire du stade (manifestation du naming), selon l'ordre syntaxique anglais, comme par exemple l'Accor Hotels Arena de Paris (ancienne salle omnisports de Paris-Bercy). Mais on rencontre aussi des cas d'emploi selon l'ordre syntaxique français (en général hors noms propres), comme par exemple l'Arena de Montpellier.
« Et comme Kendji [un chanteur] n'est pas à une consécration près, il terminera sa tournée de quelque 170 dates demain devant 20 000 spectateurs à l'Accor Hotels Arena à Paris. » (Aujourd'hui en France, 9 mars 2017).
L'Arena de Montpellier (Occitanie, France)
Même lorsqu'il n'est pas employé comme nom propre, il s'écrit très souvent avec une majuscule et sans accent, ce qui suggère que, du fait de son origine américaine, il n'est pas encore senti par beaucoup comme un nom ordinaire.
« Les cabinets de conseil estiment que, pour survivre, une Arena doit organiser au moins cent-vingt événements par an. » (La Tribune, 1er mai 2012).
Cependant la francisation du nom s'accomplit progressivement. Dans une première étape, on trouve la forme arena, sans majuscule et sans accent.
« L'ambiance jeudi soir pendant son match face à Verdasco valait bien celle d'une arena de hockey. » (L'Équipe, 11 août 2016).
Enfin, dernière étape vers une francisation totale, on trouve aussi la forme aréna, comme au Québec, sans majuscule, avec accent, mais toujours de genre féminin, qui correspond à son genre étymologique.
« Je préfère jouer à Dunkerque que dans une aréna de 5 000 places avec seulement 2 000 spectateurs. » (La Voix du Nord, 24 septembre 2011).
Il est étonnant que des dictionnaires comme le Petit Larousse illustré ou le Nouveau Petit Robert ne notent le mot qu'à titre de québécisme (masculin pour le Petit Larousse, masculin ou féminin pour le Petit Robert), alors que le mot s'emploie désormais en France.
Conclusion : Il est bien évident qu'on doit dire une aréna, et non un aréna...

Mots-clés : langue française; français québécois; variation linguistique; mot d'origine latine; aréna; genre grammatical; Grand Dictionnaire terminologique; Office québécois de la langue française; Petit Larousse illustré; Nouveau Petit Robert.

09 mars 2017

Doit-on dire des scénarii ou des scénarios ?


On entend et on lit parfois « des scénarii » ou « des scenarii », ce qui est un faux italianisme, puisque dans cette langue le pluriel de scenario est scenariEn voici un exemple : « Les médias, les opinions publiques peut-être, attendent des réponses urgentes […]. Comment faire sans la France ? Quel scénario, ou quel panaché de scénarii, le nouvel occupant de l'Elysée choisira-t-il ? » (Le Monde, 9 mars 2017).
Cette forme du pluriel est-elle acceptable en français ?
Répondre à cette question, c'est aborder le problème de l'adaptation morphologique en nombre (singulier et pluriel) des emprunts à des langues étrangères.
La réponse est simple et pleine de bon sens : les emprunts à des langues étrangères prennent la marque normale du pluriel français.
Réfléchissons un instant. Si ce n'était pas le cas, on devrait jongler avec la morphologie du nombre de chaque langue étrangère. On devrait dire, pour des mots latins, des *campi (des campus !), des *consensi (des consensus !), pour des mots italiens, des *concerti (des concertos !), des *pizze (des pizzas !), pour des mots allemands, des * diktate (des diktats !), des *ersätze (des ersatzs !) (Faudrait-il aussi conserver la majuscule à l'initiale des mots allemands ?), pour les mots russes, des *goulagui (des goulags !, en russe ГУЛАГ'и), des *moujiki (des moujiks !, en russe мужики), des *pogromy (des pogroms !, en russe погpoмы)… On voit bien que c'est impossible, impraticable et inutile…
Remarquons en passant que la force d'assimilation du français fait parfois fi de la logique de la langue d'origine. Ainsi on dit un blini, alors qu'en russe, cette forme (блины) désigne un pluriel, si bien que lorsqu'on dit des blinis, le mot porte deux fois la marque du pluriel, le i dur (ы) du russe et le s du français… Si l'on suivait la logique de un scénario, des scenarii, on devrait dire un bline, des bliny
Il y a le cas du mot lied d'origine allemande. En français, le pluriel allemand lieder domine largement le pluriel français lieds (alors que la forme française scénarios domine largement la forme faussement italienne scenarii). On trouve même la forme des lieders, ce qui rappelle la forme « des blinis ». Peu de mélomanes s'abaisseraient à dire des lieds. Mais, tout comme dans le cas de scénarii, cela ne va pas sans une bonne dose de snobisme…
En conclusion ne disons pas : des scénarii; disons : des scénarios.

Mots-clés : langue française; emprunt; pluriel des noms étrangers; scénario, scénarios, scénarii; lied; lieds; lieder; lieders; blini; blinis.

08 mars 2017

À l'occasion de la Journée internationale des femmes, un glossaire féministe


http://www.lalibre.be/lifestyle/magazine/machisme-sexisme-misogynie-en-cette-journee-pour-les-droits-des-femmes-un-glossaire-pour-s-y-retrouver-56dda3ba35708ea2d359c85a


Mots-clés : Journée internationale des femmes; glossaire; féminisme.

07 mars 2017

Ces mots qui ont marqué l'année 2016

http://www.leparisien.fr/societe/ces-mots-qui-ont-marque-l-annee-30-12-2016-6506538.php



Nuage de mots qui ont marqué l'année 2016 selon Le Parisien

06 mars 2017

« Je ne suis pas autiste », un cas de linguistico-politiquement correct...


« Autistophobie »... En ces jours où, pour un oui ou pour un non, on vous balance au visage des accusations de « phobie », voici qu'est apparue une nouvelle « phobie » condamnable. Hier, 5 mars 2017, François Fillon, candidat à la présidentielle française,  a déclaré à la télé : « Je ne suis pas autiste,  je vois bien les difficultés, j’entends bien les critiques », s'attirant les foudres des associations et d'une ministre.
Dans le Petit Robert, on lit : « autiste : relatif à l'autisme; par exagération : Le ministre est autiste sur ce dossier ». Dans le Trésor de la langue française, on peut lire : « Autisme : par extension Forme de repli sur soi, avec refus de la réalité et de la communication avec autrui ». Le Petit Robert a prévu le coup. Il se protège en disant « par exagération », alors que le TLF s'en tient à la mention neutre « par extension »…
Il va falloir réviser ces articles, scrogneugneu! Expurger les dictionnaires de cette acception supposée véhiculer des stéréotypes. Mais auparavant, les censeurs devront proposer un équivalent linguistico-politiquement correct à ce sens désormais tabou sinon il y aura une lacune dans le lexique français.
Pas facile à trouver… On ne pourra pas dire non plus « Je ne suis pas sourd, j'entends bien les critiques », ni « Je ne suis pas aveugle, je vois bien le trouble des électeurs » ou encore « Je ne suis pas fou, j'ai assez le sens des réalités », sinon on risquerait d'être accusé de véhiculer des stéréotypes sur les sourds, les aveugles ou les malades mentaux... et d'avoir toutes sortes d'associations bien-pensantes sur le dos…



Mots-clés : langue française; linguistico-politiquement correct; stéréotype; autiste; autistophobie; aveugle; fou; sourd; François Fillon.

01 mars 2017

Doit-on dire « bannière » ou « enseigne », « bannière » ou « banderole », « bannière » ou « bandeau »?

On observe dans les médias québécois trois emplois du mot « bannière » dans une acception incorrecte sous l'influence de l'anglais banner.
Dans le premier cas, il s'agit de désigner un bandeau publicitaire qui défile sur une page web ou tout autre document numérique. Cet emploi fautif se rencontre aussi en Europe francophone. En voici un exemple québécois :
« Le premier [jeu sur téléphone portable] se nomme Bounce. Il est gratuit avec une bannière publicitaire qui s’affiche au bas de l’écran. » (JM Techno, 26 février 2015). En réalité, il s'agit ici d'un bandeau publicitaire.
Dans le deuxième cas, il s'agit de nommer la raison sociale d'une société commerciale ayant plusieurs établissements, autrement dit, le nom sous lequel elle est connue du public. Par exemple Couche-tard, Jean Coutu, etc. Voici un exemple d'emploi fautif :
« L'opposition à l'Hôtel de ville a présenté ce matin une compilation des variations de taxes de nombreux commerces installés à Montréal. Leurs [sic] chiffres indiquent que plusieurs grandes bannières ont obtenu une baisse de taxes après avoir vu la valeur de leurs bâtiments réévalués à la baisse. » (La Presse, 28 février 2017). En réalité, il fallait dire plusieurs grandes enseignes.
Dans le troisième cas, il s'agit de désigner une bande de tissu portant une inscription (politique, syndicale, commerciale ou autre). Voici un exemple fautif :
« L'Association québécoise des centres de la petite enfance […] dénonce vivement les compressions de 120 millions $ annoncées par le gouvernement. La campagne a été lancée avec le dévoilement de la bannière qui sera installée devant certains CPE. » (Le Peuple, 14 janvier 2017). Dans ce cas, il fallait dire la banderole.
Dans ces trois cas, il y a un point commun : il s'agit de désigner un support (en tissu, en bois, en métal, en plastique) portant une indication (marque personnelle, marque d'une confrérie, d'une paroisse ou d'un commerce). En français, on distingue trois cas.
La bannière de Jeanne d'Arc.
Bannières d'une procession religieuse.
Le mot bannière désigne au sens propre : 1. l'enseigne d'un seigneur à la guerre - La bannière de Jeanne d'Arc 2. l'étendard porté dans une procession religieuse ou par une confrérie - La bannière de la paroisse, de la confrérie; au sens figuré, on dira que les partisans d'un parti ou d'une cause se sont réunis sous la bannière de ce parti ou de cette cause.
Le mot banderole désigne une grande bande de tissu portant une inscription (à caractère commercial, politique, syndical, humanitaire, etc.) – Le propriétaire a placé une banderole pour annoncer l'ouverture prochaine de son magasin. Les manifestants ont déployé des banderoles pour exprimer leurs revendications. Dans ce cas, on dit aussi, mais plus rarement, calicot.
Une banderole.

Le mot enseigne désigne 1. un panneau portant une inscription ou un dessin placé à la devanture d'une boutique pour attirer l'attention des clients - Les boutiques du vieux Québec ont de belles enseignes à l'ancienne 2. la raison sociale d'une entreprise commerciale dont dépendent plusieurs établissements - Alors que les petits commerces restent dans le centre-ville, les grandes enseignes s'installent dans la banlieue.
Une enseigne du vieux Québec.

Exemples de grandes enseignes : Costco, Couche-tard, Jean Coutu, McDonald's, Ikea, Petro-Canada, Starbucks Coffee, Wall-Mart, etc.
 
Une grande enseigne américaine, la société Starbucks Coffee.



Le mot bandeau désigne la zone d'une page web où s'affiche un message publicitaire.
Bandeau publicitaire.
Mots-clés : français; français québécois; impropriété; anglicisme; anglicisme sémantique; bannière; bannière publicitaire; enseigne; banderole; calicot; bandeau.