28 février 2017

Doit-on dire « amasser de l'argent » ou « récolter, recueillir, collecter de l'argent » ?


On observe fréquemment dans les médias québécois un emploi impropre du verbe amasser en combinaison avec les noms argent ou fonds. En voici un exemple :
« Lancée à la mi-janvier, la compagne de financement […] a presque doublé son objectif de 2000 $ puisque 3886 $ ont été amassés jusqu'à maintenant […]. C'est d'ailleurs en partie la raison pour laquelle il s'agissait d'un montant modeste à amasser. » (Ici Radio-Canada Gaspésie, 28 février 2017).
Dans un tel contexte, cet emploi d'amasser est une impropriété. En effet, en français, ce verbe signifie « réunir en quantité considérable, par additions successives, accumuler. » Ce qui, visiblement, n'est pas le cas. Voici un exemple d'emploi correct :
« Adapter le plus grand fonds souverain au monde actuel. C'est avec cet objectif en tête que le gouvernement norvégien a proposé des changements dans les règles de gestion de la cagnotte amassée depuis deux décennies, qui compte désormais plus de 840 milliards d'euros. » (Les Échos, 20 février 2017).
On pourrait penser qu'il s'agit d'une influence de l'anglais, mais ce ne semble pas être le cas. En effet, en anglais to amass signifie « to get a large amount of something, especially money or information, by collecting it over a long period. »
Dans cette langue, comme en français, le verbe comporte les sèmes  (ou unités minimales de signification) « grande quantité » et/ou « longue période ».
Quand l'un ou l'autre de ces deux sèmes ou les deux à la fois sont absents du contexte, on dira simplement récolter ou recueillir de l'argent. Si, en plus, le sème « don » ou « donner au profit de quelqu'un » est présent, on dira collecter de l'argent. Voici des exemples d'emplois corrects :
« Il y a tout un mouvement de solidarité qui s'organise à Québec pour aider la communauté musulmane. On s'affaire notamment à recueillir de l'argent pour soutenir financièrement les familles éprouvées. » (TVA Nouvelles, 31 janvier 2017).
« La Fondation Jean Lapointe lance le défi 28 jours sans alcool. Depuis quatre ans, cette activité vise à faire prendre conscience de la façon de consommer des gens. C'est aussi un moyen de récolter de l'argent pour sensibiliser les adolescents au risque de la consommation d'alcool et de drogue. » (Ici Radio Canada Nouvelles, 5 février 2017).

Mots-clés : français; français québécois; impropriété; amasser; to amass; récolter; recueillir, collecter (de l'argent, des fonds).

18 février 2017

Peut-on dire « endosser quelqu'un ou quelque chose » ?


Dans une lettre au journal La Presse, le philosophe Charles Taylor a écrit : « Je vois qu'il est question ces jours-ci d'adopter une des recommandations du rapport Bouchard-Taylor, soit celle qui interdit le port des signes religieux par ceux qui exercent les fonctions dites "coercitives" de l'État, dont les juges et les policiers. J'ai bien signé le rapport où cette recommandation paraît ; mais neuf ans plus tard, je ne l'endosse plus. » (La Presse, 14 février 2017).

Il s'agit là d'un emploi fautif du verbe endosser, un anglicisme de sens ou anglicisme sémantique.

En effet, en anglais to endorse signifie : « to express formal support or approval for someone or something ». Ce qui correspond en français à appuyer, adhérer à, souscrire à.

Tandis qu'en français endosser signifie : « prendre ou accepter la responsabilité de quelque chose, assumer la responsabilité de quelque chose, se charger de quelque chose. »

En réalité, Charles Taylor voulait dire qu'il n'adhérait plus à la recommandation en question, qu'il n'y souscrivait plus, qu'il ne la soutenait plus.

On peut excuser cet anglicisme chez un anglophone, mais ce qui est moins excusable, c'est que pratiquement tous les journalistes francophones qui ont repris la nouvelle, ont repris également l'anglicisme…

Mots-clés : français québécois; anglicisme; anglicisme de sens; to endorse; endosser.

16 février 2017

Doit-on dire Université de Laval ou Université Laval ?


Dans la presse francophone européenne, on trouve Université de Laval (dans 27 % des cas) et Université Laval (dans 72 % des cas). En fait on dit bien Université Laval. En effet cette université, située à Québec même, est nommée en l'honneur de Mgr François de Montmorency-Laval, premier évêque de la Nouvelle-France (1623-1708). À part le nom, elle n'a rien à voir avec la ville de Laval (425 000 habitants) située en banlieue nord de Montréal. Elle n'a rien à voir non plus avec Pierre Laval (1883-1945), chef du gouvernement français (1942-1944) qui a collaboré avec les Allemands. On doit donc dire Université Laval.

Mots-clés : nom d'université; Université Laval; Québec.

Doit-on dire Université de Harvard ou Université Harvard?


Dans la presse francophone européenne, on trouve Université de Harvard (dans 59 % des cas) et Université Harvard (dans 41 % des cas). Cela veut dire que la forme fautive est plus fréquente que la forme correcte… En effet Harvard University n'est pas une université qui serait située dans une ville de Harvard, mais une université nommée d'après le nom d'un pasteur puritain, John Harvard (1607-1638), qui a légué sa bibliothèque et ses biens à cet établissement situé à Cambridge dans la banlieue de Boston (Massachussetts). Il faut donc dire Université Harvard.

Mots-clés : traduction anglais-français; Harvard University; Université Harvard.

15 février 2017

Le français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue (Nouvelle parution)


Je suis heureux de vous annoncer la parution de mon dernier livre intitulé « Le français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue. Étude sociolinguistique » aux Presses de l'Université Laval à Québec.
Dans cet ouvrage, j'analyse le rapport entre la réalité du marché linguistique québécois et les représentations qu'on s'en fait.
Dans une première partie, je présente à partir d'exemples authentiques les principales caractéristiques du français québécois (prononciation, morphologie, syntaxe, lexique,  phraséologie).
Dans une deuxième partie, je décris la concurrence à laquelle se livrent deux variétés de français, le français vernaculaire québécois et le français international à l'aide d'une étude de très nombreux exemples tirés de la presse québécoise.
Dans une troisième partie, j'analyse différentes représentations du problème linguistique québécois à travers l'analyse de publications sur la langue et je catégorise ces représentations (joualisants, québécisants, aménagistes, internationalisants et francisants).
En conclusion, je développe les différents enjeux (identitaires, politiques, culturels, économiques, pédagogiques, etc.) à la clé dans le débat permanent sur la qualité de la langue et la norme linguistique.


 Rappel de publications précédentes :
Main basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec, Liber, Montréal, 2010.
Dictionnaire français-québécois. Pour mieux se comprendre entre francophones, Guérin, Montréal, 1999.

Mots-clés : sociolinguistique; idéologies linguistiques; endogénisme; français du Québec; français de France; français international; français de référence; marché linguistique; concurrence linguistique; bilinguisme; diglossie; particularismes linguistiques; anglicismes; langue des médias québécois; enjeux linguistiques.

11 février 2017

Doit-on dire « J'ai rendez-vous avec docteur Untel » ou « J'ai rendez-vous avec le docteur Untel »?


Depuis quelques années, on observe dans le milieu médical québécois l'emploi de plus en plus fréquent d'une construction calquée sur l'anglais. Je veux parler de l'emploi du mot docteur avec l'article zéro. Ou, si vous préférez, de son emploi non précédé de l'article défini le.
Dans les hôpitaux et les cliniques, beaucoup de préposé(e)s à l'accueil des patients ont pris l'habitude de vous demander si « vous avez rendez-vous avec docteur Untel » plutôt que de vous demander si « vous avez rendez-vous avec le docteur Untel ».
Il s'agit d'une construction importée de l'anglais, d'un anglicisme de construction ou anglicisme syntaxique : I have an appointment with Doctor...
La tournure ne semble pas encore avoir atteint la presse écrite québécoise, mais on commence à la rencontrer à la radio et à la télévision comme l'atteste la citation qui suit : « Lorsque j'ai appelé ici, à la clinique, 3 jours après, j'avais mon rendez-vous avec docteur Ch…, puis ça a été très efficace. » (ICI Radio-Canada Télé, Le Téléjournal, 11 mai 2014).

Mots-clés : français québécois; anglicisme; anglicisme syntaxique; article le; docteur.

09 février 2017

Origine et signification du mot post-vérité


L'année 2016 aura vu l'explosion de l'emploi du mot post-vérité, particulièrement présent dans le syntagme ère (de la) post-vérité. Une expression quasi synonyme s'emploie également : ère post-factuelle. Dans les deux cas, il s'agit de traductions de l'anglais post-truth era/politics et post-factual era.
En Grande Bretagne, la société Oxford Dictionary l'a désigné mot de l'année 2016. En fait les premières apparitions du terme remontent à plus loin dans le temps. En 1992, l'écrivain serbo-américain Steve Tesich a écrit dans  le magazine The Nation à propos de scandales qui secouaient alors les États-Unis  : « We, as a free people, have freely decided that we want to live in some post-truth world ». En 2004, l'écrivain américain Ralph Keyes intitule son livre The Post-Thruth Era : Dishonesty and Deception in Contemporary Life. En 2010, le blogueur David Roberts popularise l'expression post-truth politics.
Les premières attestations du terme apparaissent dans la presse états-unienne en  2010, dans la presse britannique en 2011, dans la presse québécoise en 2016, sous la plume d'Antoine Robitaille, dans la presse française également en 2016. Google Trends indique un début subit d'intérêt pour le terme en octobre 2016 en France et en novembre 2016 au Québec.
Pourquoi cette explosion soudaine de  l'emploi de post-vérité en 2016 ? Le phénomène est lié à deux événements qui ont marqué cette année-là : la campagne pour ou contre le maintien dans l'Union européenne en Grande-Bretagne et celle des présidentielles aux États-Unis. Deux personnages ont alors incarné le phénomène par leur manière de conduire leur campagne, Boris Johnson en Grande-Bretagne, Donald Trump aux États-Unis.
Le recours au mensonge en politique n'est pas nouveau. Il existe depuis que le monde est monde. Machiavel en a théorisé la nécessité pour le prince. Les régimes nazi et soviétique en ont usé et abusé. Cependant l'apparition des réseaux sociaux avec la possibilité donnée à quiconque, individu ou groupe, de diffuser n'importe quel bobard sans enquête ni vérification préalables a fait exploser le phénomène ce qui explique l'apparition d'un nouveau terme comme post-vérité.
 Que signifie cette expression ? Selon l'Oxford Dictionary, post-truth signifie : « relating to or denoting circumstances in which objective facts are less influential in shaping public opinion than appeals to emotion and personal belief », en français « qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. »
L'ère de la post-vérité fait allusion au fait que la vérité des faits, la vérité factuelle, est moins importante que l'émotion qu'on suscite en utilisant des arguments qu'on sait pertinemment faux, mais qui seront efficaces dans l'opinion publique.
C'est ce dont on a accusé Boris Johnson à la suite de la victoire surprise des Brexiters. D'avoir menti délibérément à la population pour faire gagner sa cause. Un autre cas célèbre d'usage de la post-vérité est celui de la propagande (à usage interne et externe) des médias russes notamment au moment de la crise ukrainienne.
L'Oxford Dictionary fait remarquer que cet emploi de post- dans post-vérité n'est pas l'emploi standard de ce préfixe, qui signifie après (postmodernité, post-moderne). On trouve d'ailleurs dans la presse francophone quelques cas d'emploi du terme après-vérité. En réalité, ce nouveau sens correspond plus à au-delà qu'à après. L'ère post-vérité, c'est l'ère où, dans le débat public, on va au-delà des faits, au-delà de la vérité (objective), on s'affranchit délibérément de la vérité pour entrer dans le monde du mensonge et de l'émotion qu'il suscite. C'est pourquoi un terme comme outre-vérité me semblerait plus approprié. On me propose aussi malvérité. Les propagateurs de post-vérité préfèrent souvent parler de réinformation.

« Outre-vérité : c'est quand on dit des choses qui ne sont ni vérité ni apparence » (vocabulaire des troubadours).

Mots-clés : origine; signification; post-vérité ; ère de la post-vérité; post-factuel; ère post-factuelle; outre-vérité; malvérité; réinformation.

08 février 2017

Comment doit-on prononcer le nom de famille Donald Tusk?


Beaucoup de journalistes écorchent la prononciation du nom de famille du président du Conseil européen Donald Tusk.
Ils prononcent ce nom à l'anglaise : /teusk/.
C'est une faute.
Il s'agit d'un nom de famille polonais, plus précisément kachoube. 
Le "u" de Tusk se prononce donc "ou".
Ne dites pas Donald "Teusk", dites Donald "Tousk"...


Mots-clé : prononciation; anglais; français; polonais; nom de famille; Donald Tusk.

07 février 2017

Doit-on traduire "alternative facts" par "faits alternatifs"?


Cet emploi d'"alternatif", dans le sens de "qui représente une autre solution", nous est venu de l'anglais : "an alternative idea, plan, etc. is different from the one you have and can be used instead. For example : Alternative way, approach, means, view"

De ce fait, il est critiqué. Cependant il est largement entré dans l'usage. Par exemple, on dit couramment : "peine alternative", "médecine alternative", "mondialisation alternative" (Nouveau Petit Robert). Donc l'expression "faits alternatifs" n'est pas à rejeter absolument, à moins d'être très puriste.

Maintenant si l'on veut faire comprendre de quoi il s'agit, on peut dire que ces "alternative facts" sont des "faits qui infirment" ce que les medias ont dit, des "faits opposés" à ceux des medias, des "faits en contradiction avec" ce qu'ont dit les médias, d'"autres faits". Ce sont, en quelque sorte, des "contre-faits". Mais, par son côté équivoque, l'expression est assez amusante dans la mesure où les "contre-faits" ont peut-être été "contrefaits"…

Dans l'esprit de son auteure, il s'agissait certainement de dire qu'elle avait des "faits à opposer" à ceux des medias, en quelque sorte des "faits de rechange", comme il y a des "solutions de rechange" ou des "faits de substitution". Ce qui n'a fait qu'aggraver son cas. En effet, les faits sont têtus, comme on dit. Contrairement à une opinion, on ne peut pas les changer...


Les journaux ont répété à l'envi que le syntagme « alternative facts » se trouvait déjà dans 1984 d'Orwell. Vérification faite, ce n'est pas exact. Ce serait donc là encore un « fait alternatif »... Le seul passage où le terme fact est employé dans un contexte qui rappelle l'expression en question est celui-ci : « Very likely the confessions had been rewritten and rewritten until the original facts and dates no longer had the smallest significance. The past not only changed, but changed continuously. » (chap. VII). En réalité, il s'agirait donc non pas d'une expression d'Orwell lui-même, mais plutôt d'une expression orwellienne...

Je relève dans le blog de Louis-Jean Calvet un équivalent intéressant, « vérité alternative » : « Il y a près de trente ans, la gauche américaine nous a vendu une notion un peu floue qui s’est peu à peu imposée jusqu’à ressembler à une forme d’autocensure permanente : le politiquement correct, qui a d’ailleurs fait des petits (« ce n’est pas hallal », « ce n’est pas kasher »...). Voici que la droite, toujours américaine, tente d’imposer un nouveau gimmick, les alternative facts ou, si vous préférez, les vérités alternatives. C’est assez facile à comprendre : si la presse ou la télé raconte les résultats d’une enquête vous concernant de près ou de loin, ou qui vous dérange ou ne vous plaît pas, si vos voisins rapportent ce qu’ils savent ou croient savoir de vous, ne perdez pas votre temps à tenter de démontrer le contraire, exposez des faits alternatifs, une autre vérité, si invraisemblable soit-elle ».


Mots-clés : traduction anglais-français; alternative facts; faits alternatifs; faits de rechange; faits de substitution; contre-faits; vérité alternative; Orwell; Louis-Jean Calvet.