10 janvier 2014

Doit-on dire « les 24 prochaines heures » ou « les prochaines 24 heures » ?

Chaque jour à la télévision, nous entendons les présentatrices/teurs météo nous dire : « Au cours des 24 prochaines heures, le temps sera… ». Est-ce vraiment correct ?

Certes, on nous a appris qu'en français, contrairement à l'anglais, les adjectifs premier, dernier et prochain se placent après le numéral. Ainsi, quand l'anglais dit : the first 10 years, the last 10 years ou the next 10 years, le français standard dit : les 10 premières années, les 10 dernières années ou les 10 prochaines années. L'ordre des mots correct en français est donc le suivant :

déterminant (article, etc.) + numéral + adjectif (premier, dernier, prochain) + nom.

Cependant il est un cas où cette règle ne s'applique pas. C'est lorsque le syntagme (groupe de mots) numéral + nom constitue une unité. Ainsi le syntagme « 100 mètres » peut désigner une distance précise différente, par exemple, de 75 mètres ou de 120 mètres, mais le syntagme « 100 m » (on l'écrit alors comme cela) peut aussi désigner une épreuve d'une distance de 100 mètres pratiquée dans certains sports comme la course à pied ou la natation.

Dans ce cas, on dit que le syntagme « 100 m » est lexicalisé. Cela veut dire qu'il fonctionne comme un nom (en l'occurrence, comme un nom composé). La preuve qu'il s'agit d'un nom est fournie par la présence de l'article. On dit : « courir le 100 m ». Dans ce cas, on ne peut pas séparer le numéral et le nom. Ils forment une unité lexicale, un tout. On dit : « Ce sportif a couru son dernier 100 m de la saison » et non « ses 100 derniers mètres », ce qui aurait une tout autre signification. En effet, on peut dire : « Les 100 derniers mètres ont été les plus difficiles à franchir », mais on ne doit pas dire « Les derniers 100 mètres » ou « Le dernier 100 mètres ».

Il en est de même pour les syntagmes « 24 heures », « 48 heures » et, dans une moindre mesure, « 72 heures ». Le syntagme « 24 heures » désigne en fait une journée complète; « 48 heures », deux journées complètes; « 72 heures », trois journées complètes. Ce sont des unités de temps. On dira donc « les prochaines 24 heures », les « prochaines 48 heures », les « prochaines 72 heures », et non « les 24 prochaines heures », « les 48 prochaines heures » ou les « 72 prochaines heures », ce qui supposerait qu'on fasse le décompte exact du nombre d'heures (24 précisément, pas 23 ni 25), ce qui n'est pas le cas dans ce genre d'emploi.

Cette règle est bien observée dans la presse francophone européenne. Un peu moins cependant avec premier qu'avec dernier et prochain, moins aussi avec 72 heures qu'avec 24 heures et 48 heures. Elle l'est beaucoup moins dans la presse francophone québécoise. On note dans cette dernière que les formes « 24 dernières heures » et « dernières 24 heures », ainsi que « 48 dernières heures » et « dernières 48 heures » se font une concurrence serrée. On peut expliquer cette différence dans l'usage réel par la crainte chez certains au Québec de faire un anglicisme.

Or, en croyant éviter une erreur, ils en font une d'un autre type. Cela s'appelle de l'hypercorrection, c'est-à-dire « la reproduction fautive d'une forme linguistique produisant une forme supposée correcte » (Petit Robert).

En conclusion, on doit donc dire : « Au cours des prochaines 24 heures, le temps sera…»

Mots-clés : français; syntaxe; anglicisme; ordre des mots; premier, dernier, prochain suivi d'un numéral; 24 heures; 48 heures; 72 heures.


3 commentaires:

  1. Un grand merci pour cet article ! J'ai hâte de lire tous les autres !

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  2. Bonjour,

    Est-ce vraiment de l'hypercorrection ou de l'hyper résistance à l'influence de la langue anglaise ?

    Mon compatriote Maurice Grevisse aurait en effet donné la priorité à "l'usage", donc soit...

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    1. Merci pour cette réflexion que j'ai trouvée par hasard et que j'ai relue par plaisir. Je forme le vœu d'en découvrir d'autres ! Je salue de plus l'allusion que fait un anonyme à "l'hyper résistance à l'influence de la langue anglaise". En France, hélas, nous assistons à une hyper soumission forcenée ! Jean-Michel Bernard. jeanmichelbernard2004@yahoo.fr

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