En
2006, le gouvernement fédéral canadien a déposé un projet de loi intitulé en anglais Federal Accountability Act. Dans ce projet de loi, il était dit : « La foi des Canadiens dans les institutions et les
pratiques du gouvernement a été ébranlée. Le nouveau gouvernement fait
confiance aux Canadiens et souhaite que ceux-ci fassent de nouveau confiance au
gouvernement. L'heure est à l'imputabilité. » (Discours
du Trône, 4 avril 2006).
Ce titre a représenté un défi de taille pour les
traducteurs fédéraux. La traduction proposée dans un premier temps - Loi fédérale sur l'imputabilité - a suscité de nombreuses réactions de
la part de citoyens francophones qui ont jugé - avec raison – que cet
emploi du terme « imputabilité » était non idiomatique. Finalement
devant les protestations et les interventions, le gouvernement fédéral a
accepté de changer la traduction française du terme, abandonnant
« imputabilité » pour le remplacer par « responsabilité »(1).
En anglais, le terme accountability signifie : « the acknowledgement and
assumption of responsibility for actions, products, decisions, and policies
including the administration, governance, and implementation within the scope
of the role or employment position and encompassing the obligation to report,
explain and be answerable for resulting consequences. » (Wikipedia).
Comme
dans le cas de ce projet de loi, on rencontre souvent dans la presse québécoise
des phrases du genre : « Les fonctionnaires doivent être
imputables », « On va nommer un fonctionnaire imputable ». Il
s’agit de calques sémantiques de l’anglais : a) to account for, b) accountable et c) accountability.
En effet,
comment s’emploient les termes « imputer », « imputable »
et « imputabilité » en français standard ?
a) Imputer qch. (= inanimé) à qch. (= inanimé) ou à qqn (=
animé) signifie mettre qch. sur le compte de qch. ou de qqn. Par exemple :
- avec
une chose inanimée : imputer le retard à une panne;
- avec un
être animé : imputer la défaite au gardien de but;
- « Les
observateurs imputent l’échec de cette politique au ministre / à l’inexpérience
du ministre. »
b) Imputable signifie « que l’on peut
mettre sur le compte de qch. ou de qqn »; synonyme : attribuable. Par
exemple :
- avec
une chose inanimée : un retard imputable à une panne;
- avec un
être animé : une défaite imputable au gardien de but;
- « Les
observateurs pensent que l’échec de cette politique est imputable au ministre /
à l’inexpérience du ministre. »
c) Imputabilité désigne le fait pour qch. de
pouvoir être attribué à qch. ou à qqn. Par exemple :
- avec
une chose inanimée : l’imputabilité du retard à une panne;
- avec un
être animé : l’imputabilité de la défaite au gardien de but;
On voit
bien que, si l’on peut dire « L’échec est imputable au ministre », on ne peut pas dire « Le
ministre est imputable (de l'échec). » On doit dire « Le ministre est responsable
(de l’échec). »
D’ailleurs,
la notion de « responsabilité » est le fondement de tout système
politique représentatif et démocratique. Pensons à la « responsabilité
ministérielle ».
Quels sont les équivalents français de l’anglais to
account for, accountable, accountability ?
Les principaux dictionnaires bilingues donnent
ceci :
a) to
account for :
rendre compte de qch.; justifier de qch. auprès de qqn;
b) accountable : to be accountable for : être responsable de qch.;
répondre de qch. devant qqn; devoir répondre de qch.;
c) accountability : responsabilité devant qqn;
par exemple : responsabilité financière devant qqn.
Quels
sont les termes dont dispose le français pour exprimer cette idée ?
a) rendre compte de qch. devant qqn; rendre des
comptes;
- nom : reddition
de comptes :
« actes par lequel un comptable public présente les comptes de sa
gestion à l’autorité devant laquelle il est responsable. »
b) comptable : être comptable de qch. à
qqn
- (sens
propre) « L’intendant [d’un établissement scolaire] est comptable non
seulement des deniers de l’établissement, mais aussi des matières de
consommation [= des achats, des dépenses]. » (Encyclopédie pratique de
l’éducation en France).
- (sens
figuré) « Les hommes sont comptables de leurs actions, mais moi, c’est
de mes pensées que j’aurai à rendre compte » (J. Joubert).
- rendre
qqn comptable de ses actes.
c) responsable (adj.) : qui doit rendre
compte et répondre de ses actes; être responsable de qch. devant qqn;
-
responsable (n.) : personne qui doit rendre compte de qch. à qqn; nommer un
responsable.
- responsabilité : « obligation faite
à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle, des charges qu’elle
doit assumer »
(responsabilité politique, civile, pénale, etc.).
- responsabilisation : le fait de rendre responsable de ses actes une personne, une organisatin, etc.
- responsabilisation : le fait de rendre responsable de ses actes une personne, une organisatin, etc.
En conclusion :
1) Il
faut bannir l’emploi d’« imputable », quand on peut le remplacer par
« responsable » ou « comptable » (de ses actes);
2) Le
terme « responsable » est plus général et plus fréquent que
« comptable »;
3) Le terme « comptable » est plus
précis : il implique clairement la notion de « comptes à
rendre »;
4) La
plupart du temps, le terme « responsable » est suffisamment clair;
- « Responsable » peut s'employer avec ou
sans complément (« nommer un responsable » ou « nommer un
responsable de la gestion des fonds »);
-
« Comptable » ne s'emploie qu'avec un complément (« nommez un
responsable comptable de (ses actes) (devant le Parlement) »).
5) Dans la plupart des cas, les termes
« responsable » et « comptable » rendent bien accountable;
6) Il faut bannir l’emploi
d’« imputabilité » quand on peut le remplacer, selon le contexte, par
les termes et locutions suivants : « fait d’être comptable de ses
actes », « obligation de rendre des comptes », « obligation
redditionnelle » (se rencontre dans les documents de certains organismes
internationaux); « capacité à rendre des comptes », « reddition
de comptes », (principe de la) « responsabilité », « responsabilité
démocratique », « responsabilité citoyenne »,
« responsabilité politique », « responsabilité sociale »,
« contrôle démocratique » (se rencontre dans les documents de l’Union
européenne); (principe de la) « redevabilité » (rare);
7) Le terme « responsabilité » est le
plus fréquent pour rendre accountability;
8) Les termes « responsabilité » ou,
selon le contexte, « responsabilisation des organismes / agents de
l’État » paraissent plus adéquats.
Voici quelques exemples :
- Olivier
Duhamel, Le Monde,
1991 : « Dans un pays démocratique, il existe entre les
gouvernants et les gouvernés ce que les Américains appellent "the
accountability", c'est-à-dire la responsabilité. Le président est le chef
responsable et rend compte devant les électeurs. »
- Le
Monde,
1995 : « Le modèle français a réussi, mais en oubliant de
satisfaire à la notion anglo-saxonne d'accountability, qui désigne la double
responsabilité des gouvernements d'avoir à rendre compte au peuple et de tenir
compte de lui : s'il y a un anglicisme à franciser, ce sera bien
celui-là ! »
- Le
Figaro,
1998 : « Au Parlement européen, il y a 626 députés et onze langues
de travail. La sémantique est donc importante. Le titre du rapport parlait en
français de "contrôle démocratique", en espagnol de "responsabilidad" et en
anglais d'"accountability". »
- Les
Échos,
1999 : « L'État aussi a ses stratégies, y compris en termes de
politique économique et industrielle. Mais il doit, lui, en rendre compte et en
discuter. Les Anglo-Saxons ont inventé la notion d'"accountability". Les
révolutionnaires de 1789 en avaient précisément formulé l'exigence dans leur
déclaration des droits de l'homme : "La société a le droit de demander compte à tout
agent public de son administration". »
- Thierry
de Montbrial, Le Figaro, 1999 : « Le mot responsabilité correspond ici au terme
anglais accountability, et signifie que l'on devrait toujours avoir à "rendre
compte" de ses actions de façon précise et contrôlable. »
(1) Voir Ginette Haché, « Langue.
L’Actualité fait bouger Harper ! », L'Actualité, vol. 31 no 9, 1er juin 2006, p. 16.
Mots-clés :
terminologie, sémantique, anglicisme, français québécois, accountable,
accountability, imputable, imputabilité, responsable, responsabilité.
Merci, c'est exactement le genre de précision qui nous évite de tourner en rond sur des expressions vides de sens, tous comme pour le "développement durable" ou "le mouvement citoyen" ! ! ! Merci.
RépondreSupprimerCela prouve aussi que les lois fédérales sont d'abord rédigées en anglais puis on cherche les équivalents des mots en français.
RépondreSupprimerMerci pour cet article éclairant. :)
RépondreSupprimerTrès intéressant, je vais m'ajuster en conséquence. Merci
RépondreSupprimer